fbpx

Pas de philanthropie active sans plaidoyer

La semaine dernière, sur l’heure du lunch, nous avons discuté de justice, d’équité, de diversité et d’inclusion. Puis durant un 5 à 7 sur Zoom une question a soulevé une discussion passionnée dans l’équipe. 

Nous nous demandions pourquoi la philanthropie canadienne ne prenait-elle pas davantage la défense publique de ses causes.

Après tout, si nous avions l’ambition d’apporter des changements au « système » responsable des nombreuses injustices qui existent dans le monde, le secteur social devait être le plus ardent défenseur des changements urgents requis au niveau des politiques publiques, tant au niveau municipal, provincial que fédéral.

Le plaidoyer sans but lucratif et le lobbying

Malheureusement, chaque fois que les gens commencent à parler de plaidoyer, le lobbying s’invite à table. Il y a une mince ligne rouge que plusieurs ne veulent pas franchir et se rapprocher du secteur à but non lucratif. 

C’est avant tout une question d’argent et de sémantique. La définition de la mission d’un organisme, la formulation de la demande de subventions, l’objectif d’une activité, parmi de nombreux autres critères, influencent la capacité d’un organisme à recevoir de l’argent non imposable.  

Puisque la majorité des OBNL canadiens opèrent avec des budgets inférieurs à 250 000 $, ces précieux dollars exemptés d’impôt forment la clé de la voûte qui soutient leurs nombreuses missions dans la longue tradition sociale-démocrate du Canada. Les donateurs individuels profitent peu de cet avantage fiscal puisque les reçus ne sont pas toujours demandés. Cela dépend de leur motivation pour donner. Mais pour les dons majeurs provenant des fondations, du privé ou du gouvernement, un scrupuleux examen de vos activités et de votre mission est de rigueur puisque la légitimité de leur propre trésorerie en dépend. 

La zone grise  

Dans ce contexte, il est clair qu’un plaidoyer public peut devenir « malaisant » en compromettant l’afflux d’importantes sources de financement. Nous vivions en ces eaux très troubles jusqu’en 2019, année où de nouvelles lignes directrices ont été énoncées au niveau fédéral dans le document Activités relatives au dialogue sur les politiques publiques ou à leur élaboration par les organismes de bienfaisance

Ironiquement, ces changements dans la Loi de l’impôt sur le Revenu ne provenaient pas de politiciens proactifs voulant que les organismes charitables, indéniablement des experts dans le service auprès des populations marginalisées, contribuent aux politiques publiques de façon plus équitable. Cette mise à jour législative provenait plutôt d’une poursuite engagée par un organisme prétendant que la loi muselait les OBNL en contrepartie d’un statut fiscal exempté d’impôt, ce marchandage constituant une entrave claire à leur liberté de parole.

Les bonnes et les mauvaises nouvelles

Ce changement devrait être considéré comme de bon augure pour les organismes canadiens. Pourtant selon Hillary Pearson, ex-présidente de Fondations philanthropiques Canada (FPC) et conseillère spécialisée en philanthropie : « Beaucoup d’organismes évitent de faire des plaidoyers à cause des réactions éventuelles des donateurs. Généralement, les fondations et les donateurs se tiennent loin du débat public, laissant le gouvernement définir seul les grandes politiques. Les organismes plaidant ouvertement des changements aux politiques actuelles demeurent en nombre restreint au Canada même si la loi a été changée. » 

Nous savons combien il est difficile de briser de vieilles habitudes, surtout si elles sont enracinées dans les usages. Devenir un défenseur engagé des causes sous-jacentes à votre mission peut vous sembler une tâche impossible au vu de la liste déjà longue de vos obligations quotidiennes. 

Mais voilà le paradoxe. Si nous ne travaillons pas à éradiquer la source des injustices dans le système, nous devenons un simple rouage de la machine et cela nous empêche de transformer notre monde et de le rendre plus soutenable et équitable. 

Sommes-nous une partie du problème ?

Ne devrions-nous pas activement travailler à transformer la société? Ne serait-ce pas le véritable but du secteur social ? Croire que nous devrions prendre des positions plus fortes et que les organismes, petits et grands, ont le devoir d’être les premiers défenseurs de leur cause ne fait pourtant pas de nous de naïfs penseurs de l’utopie. Plusieurs personnalités travaillent déjà à rapprocher la philanthropie du plaidoyer. 

Les bailleurs de fonds innovateurs et progressifs existent. Mais ils sont loin d’être la norme. Un nombre restreint de fondations privées soutiennent des plaidoyers ou offrent des bourses pour de la formation. Ainsi, The Muttart Foundation croit que « si le secteur philanthropique canadien veut jouer un rôle réel dans les politiques publiques, cela exige de la coordination, de l’information et de l’aide ». Celle-ci a donc choisi de soutenir des organismes parapluies qui défendent le secteur dans son ensemble. Si des fondations dédiées comme celles de Max Bell, Gordon, McConnell et Donner se demandent comment le plaidoyer peut transformer la société canadienne, les plus petits organismes ne devraient-ils pas faire de même et prendre la défense publiquement des questions qu’ils connaissent le mieux ?

De fait, il existe un déséquilibre évident entre les bailleurs de fonds et les organismes de terrain qui reçoivent les fonds. Cela encourage le statu quo. Pour ces organismes, plaider pour leur cause entraine souvent des coûts hors programme non subventionnés et comme les bailleurs de fonds recherchent avant tout des résultats mesurables, il n’y a pas de plaidoyer. 

Diversifier ses façons d’avoir un impact

Il est important de se familiariser avec la notion de plaidoyer. À la lecture de la liste qui suit, vous réaliserez que vous en savez bien plus long que vous ne le pensiez sur le sujet. Voici les éléments clés qu’il faut connaitre pour se porter à la défense de votre cause :  

  • Les recherches actuelles et le réseautage 
  • Le développement et l’analyse des politiques publiques 
  • Les litiges en cours
  • La mesure de l’opinion publique (via les enquêtes et les votes)
  • L’éducation communautaire et la collaboration interorganismes  
  • Le développement du leadership et la formation 
  • La mobilisation des donateurs et les campagnes ciblées sur des enjeux locaux
  • L’information gouvernementale et les positions des différents acteurs publics sur les enjeux importants
  • La planification stratégique de vos communications (y compris les médias sociaux)
  • L’engagement accru de l’électeur
  • Le lobbying pour vos objectifs charitables ou l’appui à ceux qui le font déjà

Défendre une cause en philanthropie c’est diversifier ses façons d’avoir un impact. Les organismes doivent avoir de l’audace et établir un dialogue avec leurs donateurs. Ils peuvent participer au débat public (ou en créer un), de façon à inspirer les bailleurs de fonds. Faites un premier pas en partageant ce rapport de FPC : Les fondations vecteurs de changement: La participation à l’élaboration des politiques publiques avec vos bailleurs de fonds.  

C’est en parlant ouvertement des causes sous-jacentes à leur mission que les organismes et les bailleurs de fonds pourront développer un meilleur plaidoyer commun et inciter les gouvernements à élaborer des politiques publiques qui s’attaqueront aux causes profondes des injustices.