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Votre personnel est-il à risque de subir du harcèlement sexuel?

Le secteur des organismes de bienfaisance n’est pas à l’abri du harcèlement sexuel. Comme La Presse le rapportait le 12 mai 2022, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) cherche à annuler un don de 500 000 $ parce que le donateur a eu un comportement inapproprié envers deux employées de l’université.

L’article n’explique pas la nature de l’inconduite. Le comportement était-il criminel? Il semble que non, mais là n’est pas la question. Ce qui est sûr, c’est qu’il contrevenait à la Politique visant à prévenir et traiter les violences à caractère sexuel incluant le code de conduite de l’Université. Dans cette politique de l’UQAT, le mot « violence » est pris au sens large et comprend « les propositions insistantes à caractère sexuel non désirées ». Ainsi, ce qu’on nomme violence comprend aujourd’hui le harcèlement en milieu de travail et les abus de pouvoir fondés sur le genre.

Comment doit-on réagir face à un donateur qui se croit tout permis?

Il serait trop facile de répondre qu’on doit simplement refuser de tels comportements et dénoncer sans détour les initiatives inconvenantes et les gestes déplacés. Ce serait, une fois de plus, faire l’autruche pour ne pas se questionner sur la source du « phénomène ». Au-delà des cas flagrants de comportements indécents, nous sommes aux prises avec une culture dans laquelle le pouvoir entre les genres demeure inégal et dont les conséquences sautent aux yeux.

Depuis que le mouvement #moiaussi s’est généralisé en 2017 à la suite de l’affaire Weinstein dans le secteur du cinéma hollywoodien, nous avons collectivement pris conscience de l’ampleur de la mentalité du « tout m’est dû », de ce sans-gêne dont s’autorisent les hommes en position d’autorité. Car, comme le dit Zelda Perkins, l’ancienne assistante de Weinstein, « Il n’[était] pas accro au sexe, il [était] accro au pouvoir. Tout ce qu’il faisait était motivé par la domination ».

Une invitation au restaurant peut aussi bien être une proposition agréable qu’une avance malaisante qui place le personnel affecté à la collecte de fonds dans une position difficile à gérer. Devrait-on accepter une invitation sans risque, mais qui annonce une soirée profondément ennuyante, et même ennuyeuse, quand un don important est en jeu? Après tout, une soirée soporifique, ce n’est pas cher payé si le don permet de boucler le budget de l’organisme. Comment évaluer le risque?

Une organisation ne peut pas s’en remettre aux critères individuels de chaque membre de son personnel et laisser chacun libre de décider où tracer la limite. Elle risquerait alors de placer les responsables de la collecte de fonds dans une situation plus qu’inconfortable. Imaginez une personne qui voudrait refuser une invitation, mais qui ne saurait pas si son employeur l’appuierait ou s’il la réprimanderait. Comment donc se tirer d’affaire? Le mieux est de se préparer en équipe à faire face à ce genre de situation qui est loin d’être exceptionnelle.

Parlez-en!

Tout le monde risque de subir des pressions. Selon un sondage Angus Reid rapporté par la Fondation canadienne des femmes, « plus de la moitié (52 %) des femmes au Canada ont fait l’objet de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail ». Une étude de Statistiques Canada donne des chiffres éclairants sur la situation. La direction, les membres du CA, le personnel ainsi que les bénévoles devraient tous chercher à en apprendre davantage sur ce que constitue le harcèlement au travail afin de nourrir la discussion. Après tout, la connaissance est une source de pouvoir.

La première étape est de parler des différents cas de figure entre collègues et, surtout, d’impliquer la direction dans la conversation. Discuter à bâtons rompus de différents scénarios est la première étape qui permettra d’élaborer des mécanismes pour assurer la sécurité et le bien-être du personnel.

Par exemple, en réponse à une invitation malvenue, pourrait-on répondre : « Bonne idée, je vais en parler à ma directrice, elle aimerait sûrement se joindre à nous »? Oui, à condition d’avoir pris collectivement la décision d’utiliser cette réplique et d’avoir la certitude que la directrice, ou le directeur, saura faire respecter la procédure mise en place au préalable. On ne peut pas improviser une réponse dans le feu de l’action sans savoir si on aura le soutien de la direction.

Élaborez une politique

Planifiez une réunion du conseil d’administration pour l’impliquer dans le processus et obtenir son consensus. Passez en revue les valeurs de votre organisation et assurez-vous qu’elles reflètent le milieu de travail que vous souhaitez offrir à votre personnel. À la lumière de cet examen, vous trouverez peut-être nécessaire d’ajouter une ou deux valeurs à la liste. Ces valeurs ne sont pas forcément nouvelles. Pour nombre d’entre nous, elles tombent sous le sens et il ne semblait simplement pas nécessaire de les nommer. Pourtant, les chiffres montrent au contraire qu’il faut affirmer haut et fort nos valeurs si on veut les faire respecter.

Qui sait, vous découvrirez peut-être aussi que les valeurs de certains membres du conseil sont un peu dépassées et que les critères de sélection des membres du CA doivent aussi être révisés.

Passez à l’action

Chaque organisation doit mettre en place une série de mesures pour créer un environnement de travail sécuritaire, exempt de harcèlement sexuel, la première étant d’adopter une politique qui définit le concept et qui détaille la procédure à suivre pour se protéger.

La plupart des organisations ont déjà une politique sur l’acceptation de dons qui fournit les critères pour recevoir des dons et pour rejeter ceux qui sont contraires à leur mission. Le cas échéant, votre politique d’acceptation des dons doit être mise à jour pour inclure les situations mettant en jeu les relations de pouvoir où un donateur cherche à obtenir un bénéfice personnel en échange de son soutien financier. Vos activités de financement doivent adhérer aux mêmes valeurs que votre organisme ont la mission de défendre dans la collectivité.

Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas approuvé le vaccin québécois contre la COVID-19 produit par Medicago parce que l’OMS a des règles strictes concernant les entreprises qui ont des liens avec l’industrie du tabac. Or, le cigarettier Philip Morris était à l’époque actionnaire de Medicago.

Cette politique doit ensuite être rendue publique pour que les donateurs en prennent connaissance et que le personnel puisse l’invoquer s’il se trouve dans une situation ou il doit refuser une invitation indésirable. On devrait trouver la politique facilement sur le site web de l’organisation pour y avoir accès où qu’on soit et pour que le grand public puisse prendre connaissance des valeurs défendues par votre organisation.

De plus, la direction devrait former son personnel, ses bénévoles et les membres du conseil d’administration et leur indiquer clairement de quelle manière gérer ces situations, avec quel langage et sur quel ton, pour que chacun sache à l’avance qu’il a l’autorisation et la latitude nécessaire pour dire non sans craindre, en plus de subir du harcèlement, de souffrir des représailles des dirigeants de l’organisme.

Enfin, l’organisation doit instaurer une procédure de plainte en cas de conflit. Les paroles et les gestes peuvent parfois être sujets à interprétation. Ces situations ne sont jamais simples à résoudre parce qu’elles sont toujours interprétées en fonction de critères culturels et générationnels liés à l’histoire, aux classes sociales et économiques, ainsi qu’aux stéréotypes de genre. Une blague peut paraître légère et inoffensive à l’un, alors qu’elle est blessante et humiliante pour l’autre. Afin d’empêcher les personnes en autorité de minimiser les paroles et les gestes ou même de manipuler l’histoire dans une tentative de décervelage, « une forme d’abus et de manipulation qui sert à faire douter la victime de sa mémoire », les employés devraient avoir recours à un mécanisme pour faire valoir leur point de vue en cas de mésentente.

Changez les mentalités

Il en faut, du temps, pour changer les mentalités. Depuis toujours, le système judiciaire, par son inaptitude à mener à procès des suspects et à faire condamner les coupables d’agression sexuelle, a lui-même permis de maintenir le statu quo du déséquilibre. En plus du coût financier, le coût émotif et psychologique que doit assumer la victime annihile tout espoir de justice et de réparation. Le gouvernement du Québec l’a reconnu et a créé, le 21 novembre 2021, un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale afin « d’assurer un meilleur accompagnement aux personnes victimes de violence sexuelle et de violence conjugale, avant, pendant et après le processus judiciaire ». C’est un début.

Dans le secteur des organismes de bienfaisance, de nombreuses personnes remettent en question la stratégie de collecte de fonds centrée sur le donateur. Bien sûr, il faut prendre soin de nos donateurs et entretenir de bonnes relations avec eux. Toutefois, en allant jusqu’à les appeler nos héros, on les place au centre de notre mission en reléguant la vraie raison d’être de notre organisme à la périphérie.

À force de leur faire des courbettes, de les remercier publiquement, de leur accorder des privilèges et de les flatter dans le sens du poil, certains donateurs perdent de vue que leur don sert avant tout une cause et non leur ego. Du côté des organismes, on perpétue inconsciemment la distinction en le « eux » et le « nous », entre les personnes dont les besoins deviennent synonymes de leur identité et celles dont les moyens définissent leur statut social.

Dans un billet de blogue de Keela, publié le 29 novembre 2021, Itse Hesse expliquait qu’il faut dorénavant se tourner vers la stratégie de collecte de fonds axée sur la communauté, plutôt que sur le donateur, afin de rétablir l’équilibre entre les besoins de la collectivité et des personnes soutenues d’une part, et les motivations des donateurs d’autre part.

L’enjeu du harcèlement sexuel dans le secteur à but non lucratif dépasse les limites personnelles de tout un chacun. Lorsqu’une organisation s’attend à ce que son personnel accorde une faveur à un donateur (un souper au restaurant) dans le but d’obtenir une autre faveur en retour (un don important), elle laisse entendre au donateur qu’il a le pouvoir d’en demander encore plus.

En adoptant et publiant une politique sur les conditions d’acceptation des dons qui établit clairement les balises qui encadrent les bonnes relations avec les donateurs, on contribuera à l’assainissement des relations de pouvoir et on offrira un milieu de travail sécuritaire et rassurant à son personnel.

Ce faisant, les organismes pourront toucher des bénéfices secondaires non négligeables : renforcement de l’image de marque, amélioration des possibilités de recrutement et de rétention du personnel, et élargissement du bassin de donateurs.

Que doit-on faire, alors, face à un donateur qui utilise son pouvoir financier pour manipuler une relation professionnelle et la transformer en une situation désagréable, voire dangereuse?

Il n’appartient pas aux organisations ni aux membres de leur personnel d’éduquer les donateurs sur la manière de se comporter. C’est plutôt à chaque donateur de choisir les valeurs qui guident ses actions. Cependant, les organisations ont un rôle très important à jouer en décidant exactement comment leurs valeurs imprègnent les différents aspects de leur fonctionnement. Qu’il s’agisse de la formation des employés, des politiques d’acceptation des dons, de la diversité du conseil d’administration ou d’une stratégie de communication cohérente, chaque élément contribue à la santé de l’organisation et à celle de la collectivité. La capacité de créer des conditions de travail sécuritaires pour protéger vos employés contre le harcèlement et de mettre en œuvre des actions qui renforcent l’équité, la diversité, l’inclusion et la justice envoie un signal au monde que votre organisme défend ardemment ses valeurs. Ces qualités rendent une organisation attrayante pour le bon type de donateurs et créent un impact beaucoup plus important dans la société.