Réflexions sur 25 ans dans le milieu communautaire

Par Kim Fuller, Fondatrice et PDG

Vous souvenez-vous de l’époque où notre travail était saisonnier ? Aujourd’hui, les organismes à but non lucratif (OBNL) n’arrêtent jamais : courriels, réseaux sociaux, sites web, publipostages, événements, rapports aux donateurs, recrutement, gestion de crise, réunions du conseil d’administration, rédaction de demandes de subventions… et la liste continue.  Tout le monde est à bout de souffle alors que la demande de services dépasse largement notre capacité à y répondre.

Au Canada, la demande de services auprès des OBNL a considérablement augmenté au cours des 25 dernières années ; une personne sur cinq utilise maintenant ces services pour combler des besoins essentiels. Pourtant, alors que la demande explose, le nombre de donatrices et de donateurs uniques diminue chaque année. Plus de la moitié des organisations se disent incapable de répondre à la demande actuelle, ce qui les oblige à en faire toujours plus avec toujours moins.

En tant qu’optimiste indéfectible œuvrant dans le secteur depuis 1999, j’appréhendais secrètement d’écrire cet article — surtout en ce contexte rempli de défis — et de réfléchir à tout ce que j’ai appris en matière de dons, de bénévolat, de technologie et de professionnalisation. Mais c’est aussi l’occasion de faire le point sur ce qui a bien fonctionné et ce qui reste encore à accomplir.

 

Professionnalisation croissante
Transformation numérique
Bénévolat 2.0
Dynamique changeante des dons
Les retombées du secteur

Professionnalisation croissante du secteur à but non lucratif

Depuis 25 ans, le secteur à but non lucratif au Canada s’est largement professionnalisé sous l’effet de facteurs comme la demande accrue d’imputabilité, le besoin de financement durable et l’importance croissante de l’efficacité organisationnelle.

Des changements réglementaires, comme la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif de 2011, ont apporté des lignes directrices plus claires en gouvernance et en reddition de comptes financiers. D’autres nouvelles réglementations et exigences en matière de rapports ont vu le jour, ce qui a permis d’améliorer la transparence et la responsabilisation.

Le renforcement des capacités a pris une importance grandissante ces dernières années. Les associations et les programmes offrant des formations, des ressources et des occasions de réseautage ont permis aux organisations de développer des compétences essentielles en gestion, en collecte de fonds et en planification stratégique. Cependant, l’appui du gouvernement et des autres bailleurs de fonds demeure insuffisant. Le financement des programmes et des services ne suffira pas à long terme si les organisations sont incapables d’investir afin de développer leur personnel, leurs infrastructures et leur marketing.

Heureusement, l’essor des entreprises d’économie sociale et la diversification des sources de financement, comme les partenariats d’affaires et l’investissement d’impact, offrent de nouvelles façons de travailler et incitent les OBNL à adopter des pratiques inspirées du milieu des affaires, renforçant ainsi leur viabilité financière. Je pense à nos clients qui gèrent des refuges et qui exploitent désormais des friperies, des cafés et des jardins communautaires, non seulement pour assurer leur autonomie financière, mais aussi pour renforcer leurs liens avec la communauté.

J’ai observé une hausse de l’apprentissage par les pairs et de la création de communautés entre gens du secteur à but non lucratif, grâce à des groupes comme l’Association of Fundraising Professionals (AFP) qui ont encouragé le développement de normes professionnelles et de pratiques éthiques. Cependant, une étude récente auprès des cadres de notre réseau a révélé leur besoin d’un soutien allant au-delà de ce qui est actuellement offert (ou accessible financièrement). Ceci m’a inspirée à démarrer un groupe de soutien par les pairs pour les dirigeantes et les dirigeants de ce secteur.

Besoin de soutien par les pairs

Plus de 70 % des directeurs exécutifs qui ont répondu à notre enquête ont indiqué qu’un groupe de soutien par les pairs serait utile ou très utile, 26 % d’entre eux estimant qu’il serait « très utile ».

Autre grand changement depuis le début des années 2000 : de plus en plus de donateurs, de donatrices et de bailleurs de fonds souhaitent des preuves que leur argent est bien utilisé, ce qui pousse les organismes à définir et mesurer leurs résultats et à démontrer leurs retombées. Les OBNL utilisent de plus en plus des analyses de données et des indicateurs de performance pour démontrer leur efficacité, ce qui s’avère essentiel pour attirer et maintenir les financements. 

Phil a toujours encouragé les collaborations et les partenariats, reconnaissant que les efforts collectifs peuvent générer des retombées encore plus grandes. Au cours des 25 dernières années, le secteur a mis en commun davantage de ressources et de connaissances, et des fusions d’organisations ont permis d’aborder des enjeux sociaux complexes.

Lentement mais sûrement (et pas assez, à mon avis), le secteur s’est fait entendre pour réclamer des changements de politique et pour sensibiliser le public à des défis sociaux essentiels. La visibilité et la crédibilité des OBNL se sont ainsi renforcées dans la société canadienne.

Alors que de plus en plus de gens du secteur privé cherchent à donner un sens à leur carrière et que ceux et celles de milieux non commerciaux recherchent une meilleure équité salariale et des conditions de travail justes, j’ai constaté une évolution vers une main-d’œuvre plus professionnelle, avec un accent accru sur l’embauche de personnel qualifié et le développement professionnel continu.

Dans l’ensemble, la professionnalisation du secteur à but non lucratif canadien a permis d’améliorer la gouvernance, de renforcer l’imputabilité et d’accroître la capacité à relever les défis sociétaux. Alors que le secteur continue d’évoluer, il est confronté à des défis constants, notamment celui de s’adapter aux avancées technologiques et de répondre aux besoins d’une population diversifiée. Il faut encore que les bailleurs de fonds reconnaissent que les budgets réduits placent les organisations dans une situation désavantageuse, tandis que les donatrices et les donateurs uniques doivent reconnaître l’importance du financement des frais généraux. Bien rémunérer son personnel et payer les comptes ne sont pas des luxes, mais le strict minimum pour qu’un organisme fonctionne efficacement.

Tirer parti de la collaboration et de la transformation numérique

En 2023, j’ai rédigé un article pour Transformation sociale, un collectif de femmes leaders du secteur à but non lucratif ayant créé une ressource pour les leaders actuels et futurs, couvrant divers sujets liés à la transformation du milieu social au cours des deux dernières décennies.

Mon article abordait comment la transformation numérique redéfinit le secteur à but non lucratif, en mettant en lumière le passage aux dons en ligne, l’accroissement de la transparence et de l’imputabilité, ainsi que l’utilisation des technologies pour optimiser la collecte de fonds et l’évaluation des retombées. Il démontre l’influence croissante des réseaux sociaux dans l’engagement des donateurs et des donatrices, la transition des relations transactionnelles vers des relations transformationnelles, ainsi que l’importance de s’adapter aux nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité et les résultats. 

Je suis convaincue qu’il est essentiel pour les OBNL de maîtriser les outils numériques pour prospérer et demeurer pertinents dans notre monde qui évolue rapidement — j’ai d’ailleurs consacré la majeure partie de ma carrière à aider les organismes à y parvenir.

Robot hand reaching out to a butterfly and text.

Le jour où mon collègue a découvert PHIL en faisant une recherche sur Google a été notre jour de chance. Nous cherchions une petite entreprise-conseil en médias numériques. Notre conseil d’administration a été très clair avec moi, il était plus que temps de passer au numérique. Nous étions en pleine crise de COVID-19 et c’était le moment ou jamais.

– Karen Flam,
directrice, Fondation Donald Berman du centre gériatrique Maimonides

Bénévolat 2.0 — Nouvelles normes de service

Le bénévolat a toujours été au cœur de mon quotidien professionnel. C’est ce qui m’a amenée au secteur en premier lieu et qui me permet de demeurer engagée au-delà de mon horaire de bureau (qui est loin d’être de 9 à 5 !).

À 16 ans, quand je vendais des épinglettes roses à l’événement Dans le Jardin de la Fondation du cancer du sein du Québec, je n’aurais jamais imaginé que celle-ci deviendrait ma cliente pendant douze ans, et encore moins que je recevrais la Médaille du souverain pour les bénévoles du Gouverneur général du Canada ni que la ministre des Familles, des Enfants et du Développement social décernerait à Phil le prix Leadership d’entreprise dans le cadre des Prix pour le bénévolat du Canada de 2021.

Mon engagement envers l’initiative canadienne Mardi je donne depuis plus d’une décennie, ainsi que les contributions de mon équipe au mouvement québécois, nous ont montré à quel point le paysage du bénévolat a changé à travers le pays. 

L’évolution de l’équilibre travail-vie personnelle, l’essor des technologies et les changements démographiques ont transformé la façon dont les Canadiennes et les Canadiens s’engagent bénévolement. Alors que le nombre de bénévoles a augmenté, la durée moyenne du bénévolat a diminué, de plus en plus de personnes optant pour des postes flexibles et à court terme plutôt que pour des mandats à long terme. Par ailleurs, l’essor des plateformes numériques facilite le jumelage des bénévoles avec des causes, tout en favorisant un bénévolat plus ponctuel et axé sur des projets. L’essor des outils numériques a également rendu certaines tâches obsolètes et les organisations s’efforcent de trouver de nouvelles façons d’exploiter le temps des bénévoles afin de maintenir leur intérêt. 

L’approche globale du bénévolat est aujourd’hui davantage axée sur les compétences et plus diversifiée, mais toutes les organisations ne se sont pas bien adaptées à ce changement — certaines s’acharnent à essayer de rentrer un bloc carré dans un trou rond plutôt que de réévaluer leur mode de fonctionnement. Tout comme les donateurs, les donatrices et les bailleurs de fonds qui s’attendent à ce que les organisations démontrent mieux leurs retombées, les bénévoles veulent savoir que le temps consacré portera ses fruits. 

Les organisations caritatives doivent consacrer du temps et des ressources à la mise en place de programmes de bénévolat appropriés, non seulement pour attirer et fidéliser les bénévoles, mais aussi pour leur propre santé mentale. Un programme de bénévolat solide réduit les urgences de dernière minute et simplifie la gestion des ressources.

Dynamique changeante des donatrices et des donateurs (et comment y faire face)

Si vous avez lu cet article jusqu’ici, vous travaillez probablement dans le secteur, et je n’ai pas besoin de vous rappeler que, depuis 25 ans, la philanthropie et les dons individuels ont beaucoup évolué. Il est toutefois essentiel de comprendre ce qui a changé et pourquoi, pour renforcer notre secteur et continuer de répondre à la demande croissante de services.

Alors que le montant total des dons a généralement augmenté, le nombre de donateurs et de donatrices uniques est en baisse constante depuis 20 ans. Les facteurs abordés ci-haut l’expliquent : nous avons assisté à une évolution vers une philanthropie plus stratégique et plus axée sur les retombées, les gens recherchant des résultats mesurables en retour de leurs contributions. En outre, la technologie numérique a transformé la façon dont les dons sont effectués, en facilitant les dons en ligne et le sociofinancement. Plus récemment, les fonds orientés par le donateur se font plus nombreux, permettant des dons plus personnalisés et plus stratégiques. Le nombre de donatrices et de donateurs uniques a toutefois diminué, indiquant que moins de personnes contribuent – bien qu’en versant des montants plus élevés.

Ce déclin s’explique notamment par le fait que les jeunes générations donnent moins souvent et versent des sommes plus modestes que les générations précédentes. Divers facteurs économiques, tels que l’augmentation du coût de la vie et la stagnation des salaires, jouent également un rôle dans la réduction du revenu disponible pour les dons caritatifs. La concurrence accrue entre les OBNL et d’autres méthodes de financement comme le sociofinancement a dilué les canaux traditionnels de dons. Deux choses que les organisations peuvent tout de même contrôler, c’est leur notoriété et la confiance que leur accordent leurs parties prenantes. Des problèmes minent la confiance du public à l’égard des organisations caritatives et l’évolution des priorités philanthropiques a contribué à la baisse des dons.

Bien que de nombreuses situations amènent les organisations caritatives à se sentir impuissantes face à ces défis, elles contrôlent davantage d’éléments qu’elles pourraient le penser.

En fin de compte, une organisation qui n’a pas revu sa stratégie dans les 24 derniers mois risque d’en arracher encore longtemps. Nous devons faire en sorte que les OBNL soient davantage prêts à prendre des risques et essaient de nouvelles choses. C’est la seule façon de changer de vieilles habitudes. Comme le disait Einstein : « La folie, c’est de refaire la même chose sans cesse en s’attendant à des résultats différents. »

Diversifier les approches est essentiel. Par exemple, une stratégie efficace de dons d’entreprise permet aux organismes de compenser la baisse des revenus des donatrices et des donateurs uniques en misant sur la philanthropie d’entreprise et le marketing de cause, deux spécialités qui ont pris de l’ampleur et gagné en rentabilité ces dernières années.

« La folie, c’est de refaire la même chose sans cesse en s’attendant à des résultats différents. »

– Albert Einstein

De plus en plus de PME soutiennent des organismes caritatifs par des dons et du bénévolat, pour diverses raisons. En s’engageant dans des actions caritatives, elles renforcent leur profil de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), embellissent leur réputation de marque et fidélisent leur clientèle. Tout ceci améliore aussi le moral des employés et attire les talents, car le personnel préfère souvent travailler pour des organisations engagées dans leur communauté. De plus, les PME voient dans le soutien communautaire une occasion de tisser des relations et de bâtir des réseaux locaux, un avantage mutuel. Nous avons eu l’honneur d’appuyer The Unscented Company dans la mise en place de son programme de bénévolat qui s’est avéré extrêmement gratifiant, tant pour ses équipes que pour Partageons l’espoir, un de nos anciens clients et l’heureux bénéficiaire de leur générosité.

Les retombées du secteur social : une fierté collective

Après 25 ans dans le milieu, qu’est-ce que j’aime toujours autant ? Je suis fière de faire partie d’un secteur qui joue un rôle clé pour l’économie canadienne, en comblant certaines lacunes et en offrant l’accès à des services essentiels comme le logement, les soins de santé, l’éducation et bien plus encore.

$216,5
milliards

Notre contribution à l’économie atteint 216,5 milliards de dollars par année, ce qui représente 8,2 % du PIB.

2,4 millions
personnes

Le secteur caritatif canadien réunit 2,4 millions de travailleuses et de travailleurs, soit une personne en emploi sur dix !

13 millions de bénévoles

Ce sont 13 millions de bénévoles qui consacrent près de 2 milliards d’heures chaque année aux causes qui leur tiennent à cœur.

Trop peu de gens connaissent ces statistiques, même parmi ceux et celles qui travaillent dans le secteur.

Nous devons célébrer les retombées significatives des OBNL sur la vie des Canadiennes et des Canadiens, ainsi que souligner leur contribution à bâtir une économie diversifiée et dynamique. Gardons la tête haute et embrassons fièrement nos réalisations. Réclamons de meilleures conditions de travail, un soutien accru et davantage de respect.

Mais le respect se mérite. Les OBNL doivent agir avec constance pour démontrer leur intégrité et leur fiabilité. Ils doivent traiter leurs équipes avec gentillesse, écouter attentivement les besoins des bénéficiaires, respecter leurs engagements et faire preuve de compétence vis-à-vis leurs aptitudes et leurs responsabilités. 

 

Je me lève chaque matin avec l’intention d’aider les organismes à atteindre cet idéal, et je compte bien continuer aussi longtemps que possible.

Kim Fuller

Kim Fuller

Fondatrice et PDG

A combination of practical insight and boundless creativity has earned Kim a reputation for delivering innovative strategies that effectively and efficiently meet the needs of today’s evolving not-for-profit landscape. Her experience working with local, national and international charities combines over 25 years in marketing and fundraising, with a lifelong passion for volunteering in the community.